Titre : Santé et sécurité pour emporter!

Nom de fichier de l’épisode no 113 : L’ergonomie participative, avec Troy Winters

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Introduction : Bienvenue à « De la SST pour emporter », une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Hôte : Merci de vous joindre à nous pour cet épisode de « De la SST pour emporter ». Nous nous entretenons aujourd’hui par téléphone avec Troy Winters, agent principal chargé de la santé et de la sécurité au Syndicat canadien de la fonction publique, aussi appelé SCFP. Aujourd’hui, Troy nous présentera son point de vue sur l’ergonomie participative et la façon dont celle-ci peut contribuer à un milieu de travail plus sain. Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui, Troy.

Troy : Merci de m’avoir invité.

Hôte : Troy, votre domaine d’expertise est l’ergonomie, et vous prêchez la santé et la sécurité. Vous parlez d’ergonomie pleinement participative. Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit et en quoi c’est important?

Troy : Bien sûr. Tout d’abord, je crois que nous devrions parler un peu de ce qu’est l’ergonomie. En termes simples, l’ergonomie est l’étude de la relation entre les travailleurs et leur environnement. En réalité, c’est l’application de nombreux principes scientifiques particuliers, provenant de diverses disciplines, qui vise à créer un milieu de travail sain et sécuritaire, compte tenu des façons de travailler et des façons dont il est possible de travailler  qui favorisent réellement le bien-être de l’employé. L’objectif ultime est de veiller à concevoir adéquatement les tâches. Pour ce faire, il faut d’assurer de véritablement les adapter aux besoins des travailleurs. En termes simples, le travail devrait être conçu pour correspondre aux aptitudes physiques et mentales du travailleur, et les travailleurs ne devraient pas être forcés d’entrer dans un moule, d’occuper un poste qui ne leur convient pas vraiment.

L’ergonomie participative constitue quant à elle une vision particulière de l’application des principes ergonomiques. Elle repose sur l’hypothèse selon laquelle lorsque l’on mobilise tous les secteurs d’une organisation, c’est-à-dire les travailleurs et la direction, afin de cerner les dangers et de prévenir les risques, on met en commun différentes sources d’information dans la recherche d’une solution et l’on obtient de meilleurs résultats.

L’avantage de l’approche participative en ergonomie est que par la mise en commun des connaissances des différents acteurs de l’organisation, on obtient une bien meilleure vue d’ensemble des facteurs physiques, sociaux et psychologiques liés aux blessures au sein de l’organisation que si l’on a seulement consulté un cadre supérieur ou même un ou deux travailleurs dans un contexte plus large.

Au sein de l’environnement syndiqué, nous encourageons la mise en branle de ce qu’on appelle le processus d’ergonomie pleinement participative. Nous savons que le changement ne se fait pas en vase clos et que beaucoup de facteurs doivent être pris en compte dans le monde des relations de travail. Il est essentiel de permettre au syndicat (dirigeants syndicaux, membres du comité en milieu de travail et du comité d’orientation) de participer au processus. Sa participation est non seulement essentielle au processus, mais elle offre aussi d’autres possibilités, comme celle de concevoir une stratégie de communication qui permettra, par exemple, à tout le monde de rester au courant de ce qui se passe. Ainsi, en réunissant des personnes de différents échelons au sein d’une même équipe, on peut s’attendre à obtenir l’adhésion des gens tout au long du processus.

De la planification à la mise en œuvre, en passant par la conception, si l’on consulte l’équipe élargie, on obtient une meilleure adhésion des gens, ce qui mène à de meilleurs résultats et, en fin de compte, à quelque chose qui convient mieux à tout le monde.

Hôte : Comment voyez-vous l’ergonomie s’inscrire dans le contexte plus large de la santé et de la sécurité d’une organisation? Pouvez-vous donner un exemple de la manière dont cela fonctionne?

Troy : Bien sûr. Il y a actuellement très peu d’administrations qui disposent de règlements ou de lois en ce qui concerne l’ergonomie. Cependant, on sait qu’au sein de chaque territoire, c’est à l’employeur que revient le rôle d’offrir un milieu de travail sain et sécuritaire. Ainsi, à titre de conseiller en santé et en sécurité du Syndicat, j’estime que la plupart de mes membres savent le reconnaître lorsque leur travail leur cause des douleurs. Mais parfois, vous savez, il est difficile d’obtenir l’appui de l’employeur; c’est du moins ce qui ressort des appels que je reçois. Je ne reçois jamais d’appel des gens qui sont heureux et pour qui tout va bien.

Ainsi, lorsque je donne un atelier, j’encourage toujours les membres du SCFP à élargir le champ de l’ergonomie, et nous avons déjà abordé ce sujet. Je donne un atelier sur l’ergonomie quatre ou cinq fois par année. Lorsque l’on fait une évaluation ergonomique du milieu de travail, on doit bien sûr tenir compte des facteurs classiques, tels que la force physique, la répétition et la posture, mais aussi aller au-delà de ces facteurs de base et songer aux facteurs tels que l’éclairage, le bruit, le degré de vibration et la qualité de l’air. On doit réfléchir aux moyens dont on dispose pour réduire le stress éprouvé par les travailleurs. Ce stress comporte plusieurs facteurs contributifs, tels que la charge de travail, les heures supplémentaires non désirées et le risque que le travail devienne ennuyeux et monotone. Nous les observons couramment.

Ultimement, en tant que travailleurs, nous voulons accroître la maîtrise que nous avons de notre travail et des décisions prises en ce qui concerne la manière dont le travail devrait être fait. Selon moi, ceci est directement lié à l’un des trois droits fondamentaux des travailleurs, soit le droit de participer, et il s’agit ici du droit de participer aux prises de décision concernant la manière dont le travail devrait être fait et la définition de certains des dangers.

L’un des exemples que j’utilise est tiré d’un projet sur lequel je travaille depuis presque un an et demi, et il s’agit en fait de l’étude de cas dont je vais parler davantage lors du Forum qui se tiendra à Vancouver. L’un de nos membres représente les agents de bord d’une des principales compagnies aériennes canadiennes, et, il y a de cela environ deux ans, le comité d’orientation et le comité en milieu de travail ont constaté une tendance quant au nombre de blessures musculo-squelettiques observées.

Ils ont alors lancé un projet et, environ six mois plus tard, je m’y suis joint à titre d’ergonome et j’ai mobilisé des personnes de tous les niveaux de l’organisation afin de trouver des moyens de réduire le nombre de blessures musculo-squelettiques et le nombre de certains autres types de plaintes reçues par le comité d’orientation et le comité en milieu de travail.

Un certain nombre de cadres intermédiaires de l’organisation siégeaient déjà au comité en milieu de travail et au comité d’orientation, mais lorsque j’ai commencé à participer au projet, nous nous sommes mis à organiser des rencontres auxquelles participait la personne occupant le deuxième ou troisième niveau hiérarchique dans l’entreprise. Et évidemment, puisque je travaillais avec le concours direct du Syndicat, nous avions accès à presque tous les travailleurs sur le lieu de travail, ce qui nous a permis d’obtenir un très large éventail d’avis et d’opinions, non seulement sur les causes, mais, de façon plus importante, sur certaines des solutions que nous proposions, le cas échéant.

Hôte : Quel est selon vous le plus grand obstacle aux interventions ergonomiques positives en milieu de travail?

Troy : Je pense qu’il y a probablement plusieurs difficultés. Il y a d’abord et avant tout le risque de bâcler le travail. Si vous précipitez les choses et que vous n’apportez pas les ressources nécessaires au projet, je pense que vous aurez beaucoup de difficulté à obtenir le succès prévu au sein de l’organisation. J’ai remarqué ce genre de problème dans certains endroits ou organisations. Les gens essaient de mobiliser un spécialiste, ils essaient de mobiliser un ergonome pour résoudre rapidement certains des problèmes cernés, mais ils ne fournissent pas d’espace, de ressources ou d’outils permettant une collaboration concrète allant au-delà de celle établie avec la personne qui a embauché l’ergonome en question. Ils organisent une rencontre. Ils disent : « Réglez nos problèmes ». Les spécialistes font de leur mieux, je ne veux rien enlever aux ergonomes, mais ils se heurtent à une sorte de mur organisationnel géant qu’il est impossible de surmonter sans le temps et les ressources nécessaires. Le projet se solde par un échec et rien n’est réglé.

Et ceci est probablement dû à la deuxième difficulté à laquelle je pense : la résistance au changement. En général, les gens n’aiment pas le changement même si ce changement pourrait entraîner des effets positifs. Les gens résistent au changement, surtout lorsqu’ils n’ont pas été consultés. Et s’ils ne voient pas pourquoi ils devraient effectuer le changement, ils le rejettent. Si vous rencontrez de la résistance, peu importe le niveau de l’organisation concerné – ce peut être la haute direction qui ne veut absolument pas dépenser d’argent ou bien les travailleurs qui ne comprennent simplement pas pourquoi ils accepteraient de changer leur façon de faire ou pourquoi ils n’ont pas été consultés sur la manière dont le travail est fait – vous ne pourrez pas intervenir avec succès et apporter un changement positif au sein de l’organisation.

En tant qu’ergonomes nous apprenons, dans le cadre de nos études et à mesure que nous acquérons de l’expérience, un certain nombre de principes de conception. Normalement, l’application de ces principes de conception ergonomiques dans le cadre du travail apporte un changement positif. Mais il faut consulter les travailleurs, car ce sont eux qui connaissent le mieux leur travail. Si vous ne leur parlez pas, vous pourriez créer plus de problèmes par l’application aveugle de principes ergonomiques à un travail sans avoir véritablement consulté les travailleurs. Et, bien sûr, plus le système est complexe, plus grandes sont les probabilités d’engendrer des conséquences involontaires.

Donc, pour revenir à mon exemple, lorsque je travaillais avec la compagnie aérienne, je suis littéralement monté à bord d’un avion. Nous avons effectué quelques vols au cours desquels nous avons observé comment les différentes tâches étaient effectuées et avons commencé à émettre certaines idées sur la façon d’améliorer l’exécution des tâches. Nous avons formulé quelques premières recommandations, puis nous avons entamé des discussions avec les travailleurs, et il y avait en fait un gestionnaire intermédiaire sur mon vol qui s’est mis à commenter à haute voix certaines de mes réflexions, en disant : « Non, tu sais, on ne peut pas faire ça, car ça déséquilibrerait l’avion, l’avion pourrait s’écraser. Cela ne fonctionnera pas. »

En fonction de ceci et de règlements canadiens relatifs à l’aviation, il semblait que nos premières idées n’allaient tout simplement pas fonctionner. Compte tenu du degré de participation qui n’était pas très élevé, j’aurais peut-être poussé plus loin des idées qui n’auraient simplement jamais été adoptées, ce qui n’aurait certainement pas été très utile.

La dernière difficulté dont j’aimerais parler est la confiance : celle-ci doit régner à tous les niveaux du projet. Et c’est probablement le contraire de ce qui arrive normalement, mais j’ai participé au projet de la compagnie aérienne parce que c’était la volonté des membres du Syndicat et qu’on avait abordé le sujet de l’ergonomie. J’avais déjà donné quelques ateliers. Alors ils ont dit : « Oh. Nous connaissons quelqu’un qui pourrait nous aider gratuitement ». Normalement, c’est plutôt la direction qui veut faire intervenir un ergonome, et les problèmes de confiance viennent des travailleurs. Mais dans cette situation, c’était la haute direction qui, même si elle entretenait une assez bonne relation de travail avec le comité d’orientation et le comité en milieu de travail, ne faisait pas tellement confiance au Syndicat national.

Ce n’est que lorsque j’ai été en mesure de rencontrer ces personnes et de discuter avec elles de notre objectif commun, qui était non seulement de rendre sécuritaire le milieu de travail, mais aussi de veiller à ce que l’organisation demeure rentable ou augmente ses profits, qu’elles ont fini par avoir assez confiance en moi pour me permettre de véritablement participer au projet et de monter à bord de l’avion.

Hôte : Avez-vous des choses à ajouter pour nos auditeurs?

Troy : Chaque fois que je donne un atelier, je désire toujours fournir des ressources et des outils à mes membres pour qu’ils puissent véritablement apporter des changements au sein de leur milieu de travail. Donc j’aimerais prendre quelques instants pour vous parler d’un outil. S’occuper d’un projet d’ergonomie participative peut probablement sembler difficile si c’est quelque chose de nouveau pour vous. Alors, si vous êtes à la recherche d’un seul outil ou d’un point de départ, la norme Z‑1004‑12 de l’Association canadienne de normalisation, publiée en 2012, pourrait vous intéresser. C’est la Norme sur la gestion et la mise en œuvre de l’ergonomie en milieu de travail. Elle peut être facilement achetée en ligne sur le site Web du CCHST.

Bien qu’il s’agisse d’une norme de gestion, le Comité technique a pris six mois supplémentaires pour concevoir une gamme complète d’outils, lesquels figurent à la fin de la norme. Il s’agit en fait d’une annexe dans laquelle figure premièrement une importante liste de vérification, couvrant 22 catégories et domaines différents, que vous pourriez vouloir consulter si vous souhaiter entamer un examen ergonomique de votre organisation. Tout est très clairement présenté et expliqué. À la suite de la liste de vérification figure une présentation de chacune des 22 catégories, ainsi que des renseignements généraux supplémentaires au sujet des éléments dont vous devriez tenir compte lorsque vous faites vos vérifications et que vous passez à travers la liste de vérification.

En outre, bien qu’elle ne remplace en aucun cas un ergonome qui apporte son soutien sur place, cette annexe pourrait permettre à une organisation, peu importe sa taille, de réellement commencer à se pencher sur les questions, les problèmes et les possibles solutions en lien avec certaines choses constatées au sein du milieu de travail, et elle est adaptée à toute taille d’organisation. Donc, je ne saurais assez vous la recommander. C’est probablement l’une des meilleures ressources disponibles pour mettre en œuvre une approche participative en ergonomie au sein du milieu de travail.

Hôte : Merci encore de vous être joint à nous aujourd’hui, Troy.

Troy : Merci beaucoup.

Hôte : Troy traitera davantage de ce sujet à titre de conférencier lors du Forum du CCHST 2016 : Le monde du travail en constante évolution, qui aura lieu en février 2016. Pour plus d’information sur cet événement et sur la présentation de Troy, veuillez visiter le site Web du CCHST à l’adresse www.cchst.ca. Merci à tous d’avoir été à l’écoute.