Day of Mourning Interview with Donna Van Bruggen Intro

Intro: Ce balado est une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Le CCHST se situe sur le territoire traditionnel des Ériés, des Neutres, des Hurons-Wendats, des Haudenosaunee et des Mississaugas. Ce territoire est visé par le Pacte de la ceinture wampum faisant référence au concept du « bol à une seule cuillère », qui est un accord entre les Haudenosaunee et la Nation des Anishinabek visant à partager les ressources autour des Grands Lacs. Nous reconnaissons également que ce territoire est régi en vertu du traité Achat entre les lacs de 1792 entre la Couronne et la Première Nation des Première nation des Mississaugas de Credit.

Ashley: Bonjour et bienvenue au balado De la SST pour emporter, une production du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail diffusée à partir de Hamilton, en Ontario. Chaque mois d’avril, en vue du Jour de deuil national, nous invitons une personne de l’organisme Fil de vie à participer au balado pour raconter son histoire liée à une tragédie au travail et les conséquences de celle-ci sur sa vie.

Le Jour de deuil national, souligné chaque année au Canada le 28 avril, est consacré à la mémoire de celles et ceux qui ont perdu la vie, ou qui ont été blessés ou malades au travail ou à la suite d’une tragédie en milieu de travail. Fil de vie est un organisme caritatif national qui vient en aide aux familles ayant été éprouvées par un décès ou une blessure aux conséquences graves en milieu de travail ou une maladie professionnelle.
Nous recevons aujourd’hui la bénévole Donna Van Bruggen qui nous parlera de son fils, David, et de l’aide offerte à sa famille par Fil de vie après le décès de David à cause d’un accident au travail.
Bienvenue Donna, et merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui.

Donna Van Bruggen Merci Ashley. C’est un réel honneur et un privilège pour moi de vous parler aujourd’hui d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur.

Ashley: Parlez-nous de votre fils David. Quelles sont certaines des choses que David aimait et quel genre de travail faisait-il?  

Donna: Quand j’étais adolescente, je le savais, je savais qu’un jour j’aurais un fils et que je l’appellerais David. Bien sûr j’ai dû attendre quelques années avant que cela se réalise. J’ai étudié, je me suis mariée, et j’ai d’abord eu deux magnifiques filles. Puis enfin, un certain 20 avril, David est né. Et j’ai pu le tenir dans mes bras pour la toute première fois.

L’une des premières choses que j’ai remarquées de David était la taille de ses mains. Et la deuxième chose que j’ai remarquée était celle de ses pieds. Je ne sais pas si vous aimez les chiens ou si vous avez déjà eu un chiot avec de grosses pattes, mais on sait que ce chiot va se transformer en gros chien. Quand j’ai vu David et ses grandes mains, je savais qu’il deviendrait un homme grand et costaud. Et en voyant la taille de ses pieds, je savais que j’aurais de la difficulté à lui trouver des chaussures le jour où il commencerait à marcher. C’était mon David, avec ses grandes mains et grands pieds. Et, oh oui, il avait aussi un grand cœur.

Dès son jeune âge, David avait tellement d’amour à offrir aux autres. Il aimait tout simplement aider les autres. Une fois, alors qu’il avait quatre ans, il a courageusement décidé de s’engager dans la boue dans laquelle sa grande sœur était coincée pour la sortir de là. Il est resté coincé lui aussi finalement, alors c’est moi qui les ai sauvés tous les deux. Je me souviens aussi de la fois où il a pris sous son aile un petit garçon qui venait d’emménager dans notre quartier et qui était seul pour devenir son ami, ou la fois où il m’avait acheté une rose. À ce moment-là, j’étais monoparentale et je ne recevais pas ce genre de cadeau. Il avait économisé son argent de poche pour m’acheter une rose. Voyez-vous, j’ai su très tôt que David était destiné à faire une différence positive dans la vie de bien des gens. Parce qu’il avait un cœur débordant d’amour qu’il n’hésitait pas à partager. Devenu jeune adulte, il a consacré deux années de sa vie dans un autre pays pour servir les gens là-bas. À son retour, son cœur désirait trouver une âme sœur, se marier et fonder sa propre famille. Il a donc rencontré et marié une merveilleuse jeune femme. Quelques années plus tard, ils ont commencé la grande famille qu’ils désiraient et ont eu quatre beaux enfants. Adulte, David aidait les gens à déménager, à refaire leur toiture et à réparer leur voiture. Il aidait aussi des gens en gardant leurs animaux domestiques et en les visitant lorsqu’ils étaient malades. Il m’aidait aussi en effectuant des réparations chez moi, et a même installé pour moi une nouvelle fournaise parce que c’était le métier qu’il avait choisi, le chauffage et la climatisation.

Il se dévouait sans compter pour sa femme et ses quatre jeunes enfants, et il les aimait de tout son cœur.

C’était mon David.

Ashley: On dirait un gars extraordinaire.

Donna: C’est ce qu’il était.

Ashely: Pouvez-vous nous raconter la journée où David n’est pas rentré du travail?

Donna: Un jour, tout a changé.

Le 17 octobre 2012, David est allé au travail et il n’est pas rentré à la maison.  

Ma belle-fille m’a téléphoné pour me dire qu’il avait été frappé par un chariot élévateur et tué sur le coup. Quand j’ai entendu les mots « David » et « mort » dans la même phrase, mon monde s’est écroulé autour de moi. J’ai senti mon cœur briser et mon cerveau s’est transformé en une sorte de brouillard. Tout était sombre, et le sentiment de deuil était tellement atroce qu’il m’est impossible de le décrire. C’est le jour où un cœur immense, rempli d’amour, s’est éteint pour toujours. Quelques heures plus tard, j’ai entamé le trajet le plus éreintant de ma vie. Le trajet pour enterrer mon fils adoré, David.

Pendant le trajet, je regardais l’heure à intervalles rapprochés dans ma voiture, car je conduisais et j’étais très consciente de l’heure. Je me disais à moi-même :  

Il est 9 h 24. Il y a 24 heures, David était encore vivant.

Il est 10 h 30. Il y a 24 heures, David était encore vivant.

Ça a continué comme ça jusqu’à 12 h 45. Puis j’ai eu cette pensée; il y a 24 heures, David vivait les 15 dernières minutes de sa vie. Et il ne le savait même pas. Ces mots ont déclenché en moi une attaque de panique tellement intense que j’ai dû m’arrêter sur le côté de la route. Mon cœur battait tellement fort que j’avais l’impression qu’il allait sortir de ma poitrine. Ma respiration était haletante, j’avais le souffle coupé. J’ai eu une envie presque irrépressible de sortir de l’auto et de courir en hurlant de terreur le long de l’autoroute.  

Voyez-vous, David avait été tué à environ 13 h la veille, mais en raison de circonstances inhabituelles, on ne l’a trouvé qu’à 13 h 30. Alors j’ai eu cette attaque de panique jusqu’à ce que cette effroyable période soit terminée. Ce n’est qu’après 13 h 30 que l’attaque de panique s’est dissipée et que j’ai pu continuer à conduire.  

Le cerveau dans le corps fait des choses étranges lorsqu’on vit une détresse émotionnelle intense. Enterrer mon fils. Voir son corps la première fois a été une expérience intense et émotionnelle. Un parent ne devrait pas avoir à enterrer son enfant.

Ashley: Je suis désolée pour la perte de votre fils, Donna. C’est vraiment bouleversant. À la suite du décès de David, comment êtes-vous venue à vous engager auprès de Fil de vie et comment êtes-vous devenue bénévole pour l’organisme?

Donna: Après les funérailles de David, j’ai fait le long trajet seule en voiture pour rentrer chez moi, dans le centre de la province. Avant sa mort, ma maison me semblait pleine de vie, mais après elle était trop silencieuse et vide. Même si j’habitais seule, David habitait avec sa famille, ils venaient me visiter. Le silence et le vide étaient très lourds. Quand je suis rentrée des funérailles, je me souviens de me tenir seule dans mon salon et de me sentir tellement isolée et terrifiée à l’idée d’un avenir incertain. Le choc et le deuil menaçaient de m’envahir. Toute ma vie avait changé, et je me demandais comment j’allais pouvoir émerger d’une telle noirceur.

C’est peu de temps après et plutôt par hasard que j’ai connu Fil de vie, car vous savez je n’ai pas eu la chance d’en entendre parler par un employeur ou par santé et sécurité au travail. C’était par hasard. Avec le recul toutefois, je ne pense pas que c’était par hasard. Je pense que c’était mon destin de les trouver. Pendant les jours qui ont précédé les funérailles de David, et pendant les mois après, mon rôle était d’être forte pour soutenir ma belle-fille et mes petits-enfants tandis qu’ils faisaient face au décès d’un mari et d’un père.

J’ai assumé volontiers le rôle. Personne ne m’y a forcée parce que je suis forte. Je savais que j’étais capable d’être un pilier. Mais cela signifiait que je mettais de côté mon propre deuil pour un moment. Et même lorsque je suis rentrée chez moi dans le centre de l’Alberta, les gens autour de moi et mes amis ne me demandaient presque jamais comment j’allais. Leurs questions étaient toujours les mêmes. Comment va ta belle-fille? Comment vont les enfants? Et donc je n’ai jamais eu la possibilité de parler de mon deuil. J’ai seulement pu le faire lorsque j’ai assisté à mon premier forum des familles de l’ouest du Canada de Fil de vie, et c’était presque un an après la mort de David. C’était la première fois où je parlais librement de la façon dont la mort de David m’a touchée en tant que mère. Je me suis retrouvée dans un groupe de personnes très accueillantes et très bienveillantes. Je ne peux même pas vous décrire l’intensité de l’émotion que je sentais, en étant dans une pièce où toutes les personnes savaient ce que je vivais parce qu’elles vivaient une situation semblable, soit un décès en milieu de travail, une blessure entraînant une incapacité ou une maladie professionnelle. Savoir que je n’étais plus seule m’a donné la force de continuer mon processus de guérison.

J’ai parcouru le long chemin, sombre et atroce, du deuil. J’ai suivi mon propre processus de guérison. Je connais bien ce processus. Si je peux m’arrêter et soutenir une personne alors qu’elle commence son propre cheminement ou qu’elle trébuche en chemin, je le ferai, car je connais personnellement le prix à payer par les familles lorsqu’elles cheminent à travers le deuil vers la guérison. Et si mes paroles et mes actions peuvent éviter à une autre famille la détresse d’un décès ou d’une blessure au travail en empêchant qu’un tel événement ne se produise, alors je serai très heureuse. C’est pour cette raison que je suis conférencière et guide bénévole pour les familles, ainsi que d’autres rôles selon les besoins de Fil de vie.

Ça m’aide à guérir et je peux avoir une influence positive et aider les autres.

Ashley: C’est beau ce que vous dites, Donna. Si vous aviez un conseil à donner au sujet de la sécurité au travail, lequel serait-il?  

Donna: Alors, j’ai deux points de vue sur la question. Premièrement, le décès de David n’était pas une douce mort après une longue vie remplie. Sa vie lui a été arrachée brutalement et violemment simplement parce qu’il est allé au travail. C’est le triste héritage des tragédies en milieu de travail. Les familles sont non seulement en deuil de la perte prématurée d’un être cher, elles doivent aussi faire face au tourment de la violence et de la brutalité insensées qui leur a enlevé leur être cher. Tout en sachant que l’accident aurait pu être évité. Je suppose que c’est la nature humaine de penser que nous sommes invincibles, que rien ne nous arrivera et que si nous sommes en danger, nous aurons le temps de nous mettre en sécurité. Mais ce n’est pas le cas pour les tragédies au travail. Une seule seconde suffit pour provoquer une situation au travail qui entraîne une blessure grave ou même la mort. Et lorsque les circonstances qui entraîneront une tragédie sont amorcées, nous n’avons plus le contrôle. Il ne nous reste plus qu’à faire face aux conséquences et celles-ci sont graves, car on ne peut jamais effacer une blessure qui change le cours d’une vie et on ne peut absolument jamais effacer un décès au travail.

C’est ça, la clé. Les tragédies au travail sont évitables, et nous avons tous la responsabilité de les prévenir. Tous les emplois comportent des risques. Les risques ne se limitent pas à certaines catégories d’emplois qui exigent de travailler avec de l’équipement lourd, ou à certaines industries. Chaque emploi comporte des risques. Ils varient simplement d’un travail à l’autre, d’un employeur à l’autre. Mais ils sont tous là.

L’idée est donc d’apprendre à déterminer les risques et à mettre en place des mesures de contrôle pour les atténuer ou les éliminer. Les lois sur la sécurité des travailleurs et les politiques et procédures de sécurité sont essentielles. Mais chacun de nous, comme travailleurs, a la responsabilité de travailler en sécurité en tout temps. Et non seulement de s’assurer de travailler en sécurité, mais également de veiller les uns sur les autres. Nous n’avons pas une vision à 360 degrés malheureusement, nous ne pouvons pas toujours voir les dangers au-dessus, derrière ou à côté de nous. Nous avons besoin de personnes qui s’occupent de nous aussi, pour s’assurer que tout le monde est en sécurité au travail et puisse rentrer à la maison et retrouver ses êtres chers à la fin de la journée.
Mon deuxième point est à propos des effets d’entraînement dévastateurs des tragédies en milieu de travail. Ils sont innombrables et touchent tellement de personnes. Ce n’est pas comme une mort de vieillesse, une année s’écoule, on passe à autre chose et on vit très heureux par la suite. Ce n’est pas comme ça avec un décès ou une blessure au travail. J’ai perdu mon unique fils. Mon dernier-né. Mon bébé. Ça ne change rien qu’il était adulte et mesurait plus de 6 pieds. Je lui disais encore qu’il serait toujours mon bébé, et David souriait tout simplement quand je disais ça.

David m’avait souvent dit qu’en vieillissant, ou si ma santé se détériorait, de ne pas m’inquiéter, car il serait là pour m’aider. J’ai perdu ce filet de sécurité. Certains jours, cela me fait peur. La femme de David a perdu l’amour de sa vie et est devenue veuve et monoparentale très jeune. Les quatre enfants de David n’ont plus leur père pour célébrer les anniversaires et Noël, les remises de diplôme et les mariages. David ne sera pas là pour les aider avec leurs devoirs, les réconforter quand ils pleurent ou rire avec eux dans les moments joyeux. David ne pourra jamais tenir ses petits-enfants et les combler d’amour.

Les collègues de David ont été anéantis par le deuil et la culpabilité qu’ils ont ressentie, ils ne m’ont même pas regardée pendant les funérailles de David. Ses amis ont été choqués par sa mort violente si jeune. Et ce ne sont que quelques personnes qui ont été touchées. Je n’ai pas mentionné les premiers répondants comme les policiers, les ambulanciers et l’équipe médicale qui ont tenté de le ressusciter. Ils ont tous été touchés, même les enquêteurs en matière de santé et de sécurité au travail. Ils sont tous touchés.  

Nous nous sentons tous continuellement dévastés émotionnellement et mentalement pour le reste de notre vie. Jamais je ne pourrai surmonter la mort de David, mais j’ai appris à vivre avec. Et j’ai émergé de mon état de deuil agonisant et je suis intacte, mais j’ai certainement changé. Je ne suis plus la personne que j’étais au début de mon cheminement. J’ai plutôt choisi de devenir une meilleure personne. Une personne plus sage, plus forte et plus aimable. Plus compatissante et bienveillante. Je poursuis encore mon cheminement, mais j’aime la direction dans laquelle je vais. C’est une façon d’honorer David et son cœur plein d’amour.

Ashley: Avant de terminer, Donna, aimeriez-vous dire autre chose sur votre expérience aux personnes qui nous écoutent?

Donna: Oui. Les mots sont puissants, et les gestes aussi. La santé et la sécurité au travail sont possibles et fondamentales. Alors, en concentrant nos efforts précisément sur cet objectif, chaque geste que nous posons solidairement comme personnes et comme familles, comme employeurs et comme travailleurs, comme municipalités et législateurs, nous rapproche du jour où plus aucune famille ne recevra cet appel ou cette personne à la porte pour l’informer qu’un être cher ne rentrera pas du travail. Parce que chaque fois qu’une tragédie en milieu de travail se produit, c’est l’enfer qui commence pour une famille. Donc allez-y tout le monde, soyez les héros de la sécurité que vous êtes. Chacun de vous possède l’un des plus importants superpouvoirs de l’univers qui s’appelle la « prévention ».  

Nous avons tous le pouvoir de prévenir les tragédies au travail et de sauver des vies. Y a-t-il quelque chose de plus important que ça?  

Ashley: Merci Donna.

Merci de nous avoir raconté votre histoire aujourd’hui.

Connaître l’histoire des familles qui sont touchées par des accidents en milieu de travail met toujours en lumière l’importance du travail que nous faisons au Centre, et nous rappelle vraiment pourquoi le Centre existe.
Chaque année, des milliers de personnes partout au Canada appuient Fil de vie en participant à la marche Un pas pour la vie, une collecte de fonds qui suit le Jour de deuil national. Pour en savoir plus sur l’événement, visitez www.stepsforlife.ca/fr/ et https://www.cchst.ca/index.html.

Merci à toutes et à tous de nous avoir écoutés.