Balado du CCHST : « Day of Mourning: Tracey Csordas' Story »

Ashley : Bonjour et bienvenue au balado De la SST pour emporter! du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail. Souligné chaque année au Canada le 28 avril, le Jour de deuil national rend hommage aux personnes qui ont perdu la vie, ont été blessées, sont devenues malades ou ont vécu une tragédie en milieu de travail.

Fil de vie est un organisme de bienfaisance canadien qui vient en aide aux familles touchées par un décès en milieu de travail, une blessure invalidante ou une maladie professionnelle.

Nous accueillons aujourd’hui l’ambassadrice Tracey Csordas, qui nous parlera de son frère Bryn et de la façon dont l’organisme Fil de vie a pu soutenir sa famille après le décès de Bryn lors d’un accident de travail.

Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui, Tracey.

Tracey : Merci de m’avoir invitée.

Ashley : Parlez-nous de votre frère Bryn. Quelles sont certaines des choses qu’il aimait et quel genre de travail faisait-il?

Tracey : Mon frère Bryn était une personne extraordinaire. Il aimait bricoler les voitures. Tout ce qui concerne la réparation, la transformation et la finition des voitures, il le faisait. Il adorait ses chiens. Nous l’appelions « l’homme qui murmure à l’oreille des chiens ». Et il aimait passer du temps avec Brayden, qu’il appelait affectueusement, son petit homme. Ils étaient très proches. Brayden est le fils d’une amie de Bryn. Bryn vivait à côté de chez Brayden depuis la naissance de celui-ci. Ils avaient donc tissé des liens étroits et étaient inséparables.

Mon frère aimait faire du quatre-roues et il adorait toutes les activités en plein air. C’était une personne fantastique. Il portait de nombreux tatouages et jurait comme un camionneur, et les gens le jugeaient souvent sur son apparence et sa façon de parler. Puis, lorsqu’ils apprenaient à le connaître, ils se rendaient compte qu’il avait un très grand grand cœur. Je n’ai jamais connu quelqu’un avec un aussi grand cœur.

Bryn prenait soin de son voisin octogénaire; il tondait sa pelouse et veillait à ce que personne ne le dérange. Il prenait également soin de notre mère. Il prenait soin de tout le monde.

Ashley : On dirait un gars extraordinaire. Parlez-nous du jour où Bryn n’est pas rentré du travail. N’hésitez pas à prendre tout le temps nécessaire.

Tracey : Ce jour restera à jamais gravé dans nos mémoires. À chaque instant, j’avais l’impression que les événements se déroulaient au ralenti. C’était tellement irréel. Ce jour-là, je travaillais à Mississauga. C’était pendant la pandémie de COVID-19. Il était très inhabituel pour moi d’être aussi loin de chez moi. J’étais donc à Mississauga et, pendant une réunion, mon téléphone s’est mis à sonner. Ma mère et mon autre frère tentaient de me joindre.

Lors de cet événement, mes deux frères ont été touchés. Mes deux frères travaillaient à l’usine, et l’un d’entre eux n’arrêtait pas de m’appeler et de raccrocher, puis de me rappeler sans cesse, et je raccrochais, car j’étais en réunion. Et puis ma mère m’a appelée et je me suis dit, oh, ma mère veut probablement juste que je passe prendre quelques trucs à l’épicerie. Lorsque j’ai répondu au téléphone, j’ai senti la panique dans la voix de ma mère. Je ne l’oublierai jamais. Tout ce qu’on m’a dit, c’est que Bryn avait eu un accident et que je devais venir les retrouver à l’hôpital.

J’ai donc fermé mon ordinateur et je suis partie. Alors que j’étais en chemin, je faisais des plans pour qu’on s’occupe du chien, pour aller chercher ma fille à son travail et pour informer mon fils que leur oncle Bryn avait eu un accident. Et je me disais : « Oh, il s’est probablement cassé une jambe ou quelque chose du genre et nous allons l’aider pour ses déplacements en voiture. Nous allons l’aider pour les repas et il voudra constamment se faire servir. » Puis, alors que j’étais à une rue de l’hôpital, mon frère m’a appelée pour me dire que je devais aller dire à ma mère que Bryn ne serait pas amené par ambulance.

Il ne rentrerait pas à la maison, il n’avait pas survécu à l’accident. À ce stade, nous ne savions toujours pas ce qui s’était passé. Je suis donc arrivée à l’hôpital. Ma mère était là et j’ai dû lui dire que Bryn ne viendrait pas à l’hôpital. Je me souviens que ma mère a crié et s’est effondrée sur le sol.

Nous l’avons soutenue et l’avons emmenée à l’extérieur. Alors que nous étions assises sur un banc à l’extérieur et que nous pleurions en essayant de comprendre ce qui s’était passé, un agent de police que je connaissais – je travaille assez souvent avec la police à Branford – s’est approché, et je me souviens qu’il m’a regardée en disant : « Oh, mon Dieu, Tracey, dites-moi que vous n’êtes pas une Stoneman ». Je lui ai répondu que oui, et il m’a fait un énorme câlin en me disant : « D’accord, nous allons aller chez vous. Nous cherchons votre autre frère ».

Ils cherchaient mon frère Michael, qui avait assisté à tout ce qui s’était passé. Il avait vu mon frère Bryn marcher sur le toit et sur un puits de lumière rouillé, et il avait été témoin de sa chute à travers le puits de lumière. Il l’avait rejoint et avait essayé de sauver la vie de Bryn sans y parvenir, puis, passant en mode combat ou fuite, il était monté dans sa voiture et était parti. Il ne savait pas quoi faire.

Nous voulions nous assurer qu’il allait bien. Nous devions le retrouver et le ramener pour que la police puisse s’assurer qu’il ne lui arrive rien, parce qu’il était en état de choc en raison de ce qui venait de se produire. Tandis que nous en apprenions un peu plus sur ce qui s’était passé pendant la journée, des gens ont commencé à venir à la maison. Les services d’aide aux victimes sont venus à la maison et j’avais l’impression de faire un mauvais rêve. Sur le moment, tout cela semblait être un mauvais rêve. Nous n’oublierons jamais ce jour. Je me souviens d’avoir voulu me rendre à l’usine parce que je ne pouvais pas me faire à l’idée que mon frère était allongé sur le sol et que je ne pouvais pas être avec lui. Mon frère et moi vivions à deux coins de rue l’un de l’autre. On se voyait tous les jours. Je passais devant sa maison tous les jours. Il passait devant chez moi tous les jours. Nous étions très proches, alors l’idée qu’il ne rentre pas à la maison ce jour-là… Et il y a encore des jours aujourd’hui où, vous savez, je me dis, « Oh, Bryn voudrait vraiment savoir ça. » Et c’est vraiment difficile de ne pas pouvoir lui dire ces choses, et de ne pas finir de grandir avec lui. Même si nous sommes des adultes, nous avons encore besoin de grandir.

Comment fait-on pour s’en remettre? Aux yeux de ses neveux et nièces, l’oncle Bryn savait tout, il savait comment améliorer les choses. Si je n’arrivais pas à communiquer avec l’un de mes enfants, comme ça arrive parfois aux parents, Bryn était en mesure de le faire et mes enfants savaient qu’ils trouveraient une oreille attentive chez oncle Bryn. Ils avaient confiance en lui et pouvaient lui parler de n’importe quoi.

Le fait qu’il ne soit pas rentré du travail ce jour-là ne nous a pas semblé réel sur le moment. Cela ne pouvait pas nous arriver. Il était tellement soucieux de la sécurité. Ça ne pouvait pas arriver à notre famille, mais c’est pourtant ce qui s’est passé.

Ashley : Je suis vraiment désolée. Je ne peux qu’imaginer ce que cela a dû être. Et le fait que votre autre frère ait été touché, lui aussi, et qu’il y ait assisté, cela me brise le cœur pour votre famille. Je suis désolée. Racontez-nous un peu comment vous en êtes venue à participer à Fil de vie.

Tracey : Je crois que c’était le lendemain du jour où l’un de mes collègues m’a apporté une brochure sur l’organisme Fil de vie. Et je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait, j’avais l’impression de ne plus savoir qui j’étais à ce moment-là. Je l’ai donc rangée avec toutes les autres brochures d’information que tout le monde avait apportées. Mon collègue m’a dit que sa voisine d’en face avait perdu un membre de sa famille dans un accident du travail. Il lui a donc parlé de mon frère et de ce qui s’était passé, et elle lui a donné la brochure et les informations sur Fil de vie.

Et cette brochure est demeurée rangée très longtemps. J’ai été très engagée dans ce qui se passait avec l’entreprise devant les tribunaux et auprès du ministère du Travail. Et j’ai eu beaucoup de chance. J’avais un très bon contact au ministère du Travail qui comprenait que je devais me faire entendre. Je n’avais pas pu m’exprimer devant le tribunal parce que les procédures se déroulaient essentiellement entre l’entreprise et le ministère du Travail. Et la famille n’intervient pas dans ces procédures. Il continuait de m’encourager à communiquer avec Fil de vie. Cet organisme a un Bureau des conférenciers grâce auquel il est possible de se faire entendre et d’avoir un impact. Alors, environ deux ans après le décès de mon frère, j’ai décidé de les consulter et de discuter avec eux. Peu de temps après, ils ont organisé un forum des familles. Je me suis donc inscrite au forum des familles et j’ai pu y participer.

J’ai fait ma valise, puis je l’ai défaite dans l’angoisse, pour ensuite la refaire. Un instant, j’y allais, l’autre, je n’y allais pas. Comment cela pourrait-il m’aider? Qu’est-ce que cela allait m’apporter? J’ai finalement mis mes affaires dans la voiture et je suis partie. J’y suis allée seule, sans que personne ne le sache, car j’avais besoin de le faire d’abord pour moi avant d’en parler à ma famille.

Nous nous trouvions dans un endroit magnifique, dans la région de Nottawasaga. J’étais très nerveuse, mais lorsque je me suis retrouvée au forum familial, j’ai réalisé que je n’étais pas la seule à vivre cette situation. Pour commencer, nous avons participé à une cérémonie au cours de laquelle chacun rendait hommage au membre de sa famille à l’aide d’une photo. Au début, chaque participant a allumé une chandelle et partagé une photo avec le reste du groupe. Des séances de soutien nous ont ensuite été proposées. Cette expérience a changé ma vie. Elle a marqué un tournant dans mon processus de guérison. J’ai appris que je pouvais faire face à la perte de mon frère de différentes façons. J’ai compris que je n’étais pas la seule à vivre cela – que des familles comme la mienne étaient présentes autour de ces tables et qu’elles se soutenaient les unes les autres.

En jetant un regard de l’extérieur sur ce qui se déroulait lors de mon premier forum familial, je me suis dit que, à bien des égards, ces familles devraient être en colère. Elles devraient être tellement en colère. Elles devraient être furieuses. Mais au lieu de cela, elles ont assumé leur chagrin et ont soutenu toutes les personnes présentes dans cette salle. J’ai vu différentes personnes, qui en étaient à des étapes différentes de leur deuil, partager leur vécu et se montrer vulnérables tout en se soutenant mutuellement. Et ce fut vraiment un moment décisif pour moi.

J’ai ensuite décidé que j’allais devenir conférencière. J’ai donc participé au Bureau des conférenciers, et plusieurs personnes que j’ai rencontrées ont fait de même. Nous continuons d’ailleurs de nous soutenir et de nous envoyer des messages dans un groupe Facebook et sur Messenger, même si nous nous sommes rencontrés dans le cadre d’un forum de deux jours seulement, il y a de cela trois ans. Nous continuons de nous soutenir mutuellement.

J’ai adoré cette expérience. Ensuite, je suis devenue CDR pendant une courte période auprès de Fil de vie.

Ashley : Que signifie CDR, pour nos auditeurs qui ne connaissent pas ce sigle?

Tracey : C’est le poste de coordonnatrice du développement régional pour le centre du Canada. À l’époque, ce rôle était assumé par trois personnes. J’occupe maintenant de nouvelles fonctions, mais je n’oublierai jamais ce que j’ai pu accomplir comme coordonnatrice du développement régional et les personnes que j’ai côtoyées. Et j’ai pu aller encore plus loin en partageant l’histoire et en approfondissant ma connaissance de Fil de vie et du travail extraordinaire accompli par cet organisme qui soutient des familles comme la mienne de mille et une façons. Et ça a été un honneur et un cadeau pour moi de pouvoir faire cela pour mon frère, car la meilleure façon d’honorer la mémoire de mon frère est d’espérer sauver une autre vie ou d’inciter les gens à penser à leur sécurité et à se pencher sur les questions de sécurité.

Ashley : Absolument. Quelle belle façon d’honorer la mémoire de Bryn. Cela nous amène à notre prochaine question : si vous aviez un conseil à donner ou une chose à dire aux gens à propos de la santé et de la sécurité au travail, qu’est-ce que ce serait?

Tracey : Oh, je n’arriverais pas à formuler cela en un seul énoncé. C’est tellement difficile de se limiter à une seule chose.

Ashley : N’hésitez pas à nous donner plusieurs conseils dans ce cas.

Tracey : Je dirais qu’il faut vraiment, vraiment veiller à sa propre sécurité. Si vous avez l’impression qu’on vous demande de faire quelque chose de dangereux, ce qui était essentiellement le cas pour mes frères, n’ayez pas peur de poser des questions. Un processus est en place pour vous permettre de travailler en toute sécurité. Vous pouvez tout à fait refuser d’exécuter un travail dangereux, et suivre les étapes de ce processus.

Le processus n’est pas en place pour rien. Par conséquent, si vous estimez que vous n’êtes pas en sécurité ou si vous jugez que l’on vous demande d’effectuer un travail dangereux, refusez de l’exécuter. Vous avez le droit de refuser de l’exécuter sans être pénalisé. Beaucoup de gens vivent d’un chèque de paye à l’autre, et je peux vous dire que lorsque je partage mon histoire avec mes photos, je raconte l’histoire du chèque de paye de mon frère qui est resté épinglé sur le mur d’un poste de garde abandonné, et le fait que son entreprise n’est pas venue nous le donner. Il nous a fallu conduire jusqu’à l’endroit où mon frère a été tué pour pouvoir ramasser le chèque de paye qui était accroché au mur d’un hangar poussiéreux. Il faut que vous compreniez que votre vie vaut bien plus que votre salaire. Votre famille préférerait que vous rentriez à la maison pour souper, plutôt que d’avoir à vivre de tels événements. Je vous conseille donc de refuser d’exécuter tout travail dangereux et de respecter les protocoles appropriés qui ont été mis en place pour vous permettre de refuser un tel travail.

Par ailleurs, si on vous demande de respecter des protocoles et des mesures de sécurité, n’allez pas croire que c’est correct de ne pas les respecter juste une fois et que tout ira bien. Assurez-vous de toujours respecter et de prendre au sérieux les mécanismes de sécurité qui vous ont été donnés, car le fait de ne pas les utiliser une seule fois est une fois de trop. Vous pourriez vous retrouver dans la même situation que nous et je ne voudrais surtout pas qu’une autre famille ait à vivre cela.

Ashley : Y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à nos auditeurs avant de terminer?

Tracey : J’aimerais que tout le monde prenne le temps de reconnaître l’importance de la sécurité en milieu de travail et les résultats qu’elle permet d’obtenir. Comme je l’ai déjà dit, votre famille tient à ce que vous rentriez à la maison pour le souper. Et il est tout à fait approprié de signaler qu’un travail est dangereux. Une personne pourrait vous en vouloir pendant un moment, mais sa famille sera heureuse qu’elle soit rentrée saine et sauve.

Ce que je souhaite, c’est que tout le monde soit en sécurité afin de pouvoir rentrer à la maison sain et sauf. Et si nous pouvons transmettre ce message et faire en sorte qu’une seule personne nous écoute, c’est formidable. Si nous pouvons faire en sorte que davantage de personnes écoutent, c’est formidable. Je ne pourrai plus jamais voir mon frère. Nous ne pourrons pas grandir ensemble. Il y a déjà tant d’événements auxquels il n’a pas pu prendre part. Lorsque Brayden a obtenu son diplôme de 8e année, mon frère, qui avait promis d’être présent, n’a pas pu être là. La mère de Brayden a donc épinglé une photo de mon frère et de Brayden dans la poche de son costume pour qu’il soit présent avec lui.

Vous voulez être présent à ces événements. Vous voulez assister à la remise de diplôme. Vous voulez être présent aux leçons de conduite. Vous voulez assister au mariage de votre enfant. Vous voulez faire toutes ces choses que notre famille n’est plus en mesure de le faire. Je voudrais donc que tout le monde reconnaisse que la sécurité en milieu de travail est extrêmement importante et qu’elle devrait être une priorité pour tous.

Ashley : Je suis tout à fait d’accord. Merci beaucoup, Tracey, d’avoir pris le temps de partager votre histoire et celle de Bryn avec nous aujourd’hui. La collecte de fonds phare de l’organisme Fil de vie, « Un pas pour la vie », suit le Jour de deuil national et donne le coup d’envoi de la Semaine de la sécurité et de la santé en Amérique du Nord. Vous trouverez plus de renseignements sur cet événement sur www.stepsforlife.ca et www.cchst.ca. Merci pour votre écoute. Soyez prudents!